L’historique des liens entre Québec et Lévis (1/6)
PartagerFacebook

L’historique des liens entre Québec et Lévis (1/6)

PartagerFacebook

Dans cette première publication d’une série qui en comptera six au total, j’aborde l’histoire des différents liens routiers entre Québec et Lévis, des études et des rapports faits à ce sujet jusqu’à la fin des années 2000.

Cette série abordera le thème général de la mobilité dans la grande région de la Capitale-Nationale, principalement sur les déplacements véhiculaires et les autoroutes.

La deuxième publication abordera l’actualité du 3e lien depuis le début des années 2000 dans l’univers politique et régional de ce grand débat.

Le troisième volet de cette série portera sur l’analyse des données d’achalandage de la région selon les publications des villes et gouvernements.

La quatrième publication présentera les concepts et réalités de l’étalement urbain, du trafic induit, de la mobilité durable, de la multimodalité et des TOD (Transit Oriented Development).

Le cinquième volet s’attardera à l’étude technique d’un 3e lien autoroutier sous le fleuve quant à la faisabilité technique des tracés étudiés, de leur pente, des normes incendie et des restrictions de circulation pour certains types de véhicules.

Finalement, la sixième et dernière publication de cette série se voudra une ouverture sur le monde et les tendances des grandes villes en termes de mobilité durable et du changement de mentalité des usagers.

Bref, au cours des prochaines semaines, beaucoup d’informations seront décortiquées et seront le reflet de ma compréhension des lectures que j’ai effectuées afin de m’approprier les connaissances nécessaires pour vous les transmettre ici. Bonne lecture!

Le 1er lien
Construction du pont de Québec, 1916, © BAnQ

L’idée d’un nouveau lien entre les deux rives ne date pas d’aujourd’hui, mais pour bien comprendre comment on en est rendu là, il faut retourner un peu dans le passé.

Avant la construction du pont de Québec, la traversée entre les deux rives s’effectuait par traversier et l’hiver, un pont de glace sur le fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de la traverse Québec-Lévis, permettait la traversée. Le marchandage de biens entre le port de Québec et le chemin de fer présent à Lévis constituait la majorité des traversées entre les deux rives.

Pont de glace, 1892 © BAnQ

Avec les années, la construction d’un lien ferroviaire est devenue incontournable pour la région et le secteur de l’embouchure de la rivière Chaudière fut sélectionné par l’étroitesse du fleuve Saint-Laurent à cet endroit, qui est d’ailleurs le secteur le plus étroit entre Québec et Montréal. La hauteur des falaises sur chacune des rives a également contribué à la sélection du site, car le tablier du pont n’obstruait pas le passage des bateaux.

Je vous épargne la longue histoire de la construction du pont de Québec qui s’échelonna de 1903 à 1907, et de 1913 à 1917, étant donné les deux effondrements de la structure lors de la construction.

Pont de Québec, circa 1940 © BAnQ

Entre 1929 et 1951, les voies conçues pour les tramways du pont de Québec furent remplacées par une voie carrossable pour les automobiles. En 1951, le réaménagement des voies ferroviaires ont permis de doubler le nombre de voies pour les automobiles. Ces voies ont finalement été reconfigurées une fois de plus afin d’avoir trois voies, dont une voie centrale en alternance matin et soir. Fait intéressant, il y avait un péage sur le pont jusqu’en 1942.

Le 2e lien
Construction du pont Pierre-Laporte, 1969 © Ministère des transports

À la suite de l’augmentation du parc automobile de la région (10 000 voitures en 1950 à 60 000 en 1960), le gouvernement provincial sous Jean Lesage décide d’entreprendre la construction d’un second lien entre les deux rives. Pour les mêmes raisons, principalement économique et géographique, le nouveau pont est construit à côté de celui-existant. Un tracé avait également été étudié entre Limoilou et le centre de Lévis, mais n’aboutira pas. Les travaux s’échelonnent entre 1966 et 1970. Le pont sera finalement inauguré le 6 novembre 1970 par Robert Bourassa.

Le premier rapport Vandry-Jobin
Réseau Vandry-Jobin, 1968 © Rapport Vandry-Jobin

L’idée d’un 3e lien entre les deux rives a été proposée et étudiée à plusieurs reprises dans les 50 dernières années. Les tracés de ce lien ont beaucoup changé d’année en année.

Comme je le mentionnais plus haut, le tracé pour un lien au-dessus du fleuve entre Limoilou et Lévis a été étudié lors de la construction du pont Pierre-Laporte, mais avait été jugé trop coûteux. Le rapport Vandry-Jobin, déposé en 1968, préconisait ce lien pour relier ces secteurs en se basant sur une immense croissance démographique dans la région, ce qui ne s’avèrera pas le cas.

Par contre, ce rapport posera quand même les assises du grand réseau autoroutier que nous connaissons aujourd’hui dans la région et en fera l’un des plus grands réseaux autoroutiers per capita au Canada (KM/habitant).

Construction de l’avenue Honoré-Mercier, circa 1970 © BAnQ

Parmi les grands travaux que propose le rapport Vandry-Jobin, ont y note l’autoroute Dufferin-Montmorency, l’autoroute Champlain (boulevard Champlain aujourd’hui) et l’autoroute de la Capitale (Félix-Leclerc). Ce rapport proposait également l’ajout de deux autoroutes dans la basse-ville. Une première suivant la falaise du coteau Sainte-Geneviève, présentement l’emprise de la rue Arago dans Saint-Sauveur, et de la rue Saint-Vallier Est dans Saint-Roch, et une deuxième suivant la rivière Saint-Charles, présentement l’emprise du boulevard Hamel en coupant dans Limoilou et le port de Québec pour un éventuel lien vers Lévis.

Construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency, 1972 © BAnQ

D’ailleurs, dans ce rapport, le concept d’un tunnel est étudié. Deux scénarios sont envisagés, l’un débouchant en face du stade municipal aux abords du Parc Victoria, et l’autre sur le boulevard Champlain. Dans les deux options, le rapport fait mention de pentes raides pour les approches (difficulté pour le camionnage), l’espace retreint pour les échangeurs requis pour les connections au réseau existant, le besoin d’effectuer des expropriations importantes et l’incapacité à desservir adéquatement la haute et la basse-ville. Tous des problèmes qui sont encore d’actualité aujourd’hui et que je vais les aborder dans les prochains articles de cette série.

Dans les années 1970, des études menées par le gouvernement provincial sur la géologie du fleuve révèlent qu’il ne semble pas y avoir de problème à insérer un tunnel dans le sous-sol du fleuve. Ces études géologiques se penchaient sur la composition des sols de part et d’autre du fleuve, de son lit et de la faille de Logan.

Le second rapport Vandry-Jobin

Un second rapport Vandry-Jobin, cette fois-ci en 1979, fait état de nouveaux scénarios pour un nouveau lien évitant le centre-ville et passant par l’Île d’Orléans. Évidemment, ces scénarios n’aboutiront finalement pas, mais il est tout de même intéressant de s’y attarder pour comprendre pourquoi certains tracés sont encore aujourd’hui étudiés et débattus.

Axe Laurentien, © second rapport Vandry-Jobin

Premier des scénarios étudiés est appelé l’« Axe Laurentien » qui consiste en un prolongement de l’autoroute Laurentienne vers le sud en passant par ce qui était autrefois l’emprise du CN qui longeait la rive sud de la rivière Saint-Charles pour se diriger vers la Gare du Palais. Ce tracé continuait vers le Port de Québec pour connecter avec Lévis, avec un tunnel débouchant sur la route 132 (boulevard Guillaume-Couture) à la hauteur de la rue Monseigneur-Bourget pour se connecter plus au sud à l’autoroute 20.

Ce premier scénario permettait un lien direct entre Lévis et Québec, mais aussi le Port de Québec. Cependant, celui-ci demandait énormément d’expropriations du côté de Québec et, toujours selon le rapport, « vu l’apport important de trafic de la rive-sud et ayant pour destination le centre-ville de Québec, tant à la haute-ville qu’à la basse-ville, il y aurait un problème de capacité sur Dufferin-Montmorency puisque les trafics venant du sud, ceux venant de l’est et ceux venant du nord-est emprunteraient tous le même circuit pour attendre la haute-ville. » En résumé, ce lien ne serait pas efficace, car un effet d’étranglement se manifesterait à l’approche de la haute-ville.

De plus, l’analyse géologique de l’époque précise que

«si l’on tient compte de la longueur et de la profondeur à laquelle il faut construire un tunnel selon l’Axe Laurentien pour conserver une pente raisonnable sur les approches, on devrait aussi en déconseiller la réalisation, d’autant plus que les carrefours de raccordement aux autoroutes du côté nord seront assez difficiles à réaliser et qu’il est presque impossible de raccorder à la route 132 sur la rive-sud. »

Axe Anglo, © second rapport Vandry-Jobin

Le deuxième scénario est nommé l’« Axe Anglo » parce qu’il passe tout prêt de l’Anglo Pulp (la Papetière White Birch aujourd’hui). Le tracé qui commence sur l’autoroute de la Capitale à la hauteur de l’avenue Gaspard (secteur Maizeret) prend l’axe de la rue Monseigneur-Gosselin pour atteindre l’autoroute Dufferin-Montmorency et traverse le fleuve pour atteindre la rive-sud à la hauteur de la rue St-Omer.

Ce tracé fut également abandonné, car sa construction aurait détruit une bonne partie du quartier Maizeret, en plus d’avoir le même problème que l’Axe Laurentien quant à la capacité du réseau à se voir déverser tout le trafic de la rive-sud. De plus, l’étude géologique stipule que 

« En considérant la profondeur d’eau, l’épaisseur de mort-terrain, le niveau du roc sain et la couverture nécessaire au-dessus du tunnel, il faut envisager que la construction d’un tunnel devrait se faire à environs 400 pieds sous le niveau moyen de la mer. Si l’on tient compte qu’il faudrait maintenir cette cote sous l’estuaire de la rivière Saint-Charles, il est évident que la construction d’un tunnel doit être rejetée dans l’Axe Anglo

La construction d’un pont serait également difficile étant donné l’instabilité des sols, donc un problème de taille pour la stabilité des fondations.

Axe Dufferin, © second rapport Vandry-Jobin

Le troisième scénario étudié est celui de l’« Axe Dufferin », soit le prolongement de l’autoroute Dufferin-Montmorency pour pénétrer dans la falaise dans Saint-Roch avec un échangeur qui permet les échanges vers le boulevard Champlain et la rive-sud. La traversée vers la rive-sud aurait été un pont haut de 170 pieds au-dessus du boulevard Champlain et qui arriverait dans le secteur Saint-David. D’ailleurs, une section de ce scénario avait été construite pour permettre la connexion de l’autoroute Dufferin-Montmorency à l’autoroute Champlain (maintenant le boulevard Champlain), mais les structures de la bretelle d’autoroute ont été démolies au début des années 2000.

Pour des raisons économiques, mais également pour conserver l’aspect patrimonial de l’allure de la falaise dominée par les Plaines d’Abraham, ce scénario sera aussi abandonné. De plus, l’étude de ce lien qui se voulait une connexion directe au centre-ville de Québec, ne permettait pas d’améliorer la situation. Selon le rapport,

« La construction de ce lien centre à centre aura pour effet d’empirer la situation déficitaire et non fonctionnelle du transport en commun en invitant un plus grand nombre de véhicules à s’empiler dans le centre-ville. » et « En empilant un plus grand nombre de véhicules dans le centre-ville par un lien centre-centre, il y aura un problème de pollution tant de l’air que le bruit. »

« Les répercussions liées à la construction du pont s’affirment et leurs multiples facettes s’enchevêtrent. La ville est un espace organisé et l’introduction d’une nouvelle composante (un axe routier) peut engendrer une rupture d’équilibre extrêmement vive dans la mesure où le centre-ville est concerné. »

Il faut croire que même en 1980 l’idée de faire déboucher un lien autoroutier en plein centre-ville était une très mauvaise idée. Il faut aussi préciser qu’en 1980, on ne parlait pas nécessairement d’étalement urbain, car le développement des périphéries était basé sur les prédictions de croissance démographique, qui à ce jour ne se sont toujours pas réalisées.

Axe Orléans, © second rapport Vandry-Jobin

Finalement, le quatrième scénario, nommé l’« Axe Orléans », est celui le plus plausible selon le rapport. Ce tracé, qui se veut une continuité de l’autoroute 40 à la jonction avec l’autoroute 440 pour atteindre l’extrémité ouest de l’Île d’Orléans par jeté de pierre ou pont. Un échangeur permettrait la liaison avec l’Île d’Orléans. Un tunnel poursuivrait le tracé en passant sous le fleuve à une profondeur de 250 à 300 pieds. Le tunnel déboucherait dans le secteur de la route Lallemand pour atteindre l’autoroute 20.

À cette époque, l’avantage de ce tracé était la connexion de la rive-sud avec l’Île d’Orléans et permettait au centre-ville de Québec de préserver son patrimoine. Cependant, le même problème quant à la capacité du réseau, et principalement l’autoroute Dufferin-Montmorency, à recevoir tout ce trafic ne permettait pas nécessairement une meilleure desserte.

Ceci clôt la première publication de la série sur l’historique des liens interrives de la région de Québec. La prochaine publication aura comme sujet : le 3e lien dans les années 2000.

Sources :

  • Comment survivre aux controverses sur le transports à Québec, 2021, Jean Dubé, Jean Mercier et Emiliano Scanu.
  • Rapport Vandry, Jobin, De Leuw, Cather et Associés sur la circulation et l’aménagement du Québec métropolitain, 1969
  • Second Rapport Vandry-Jobin, 1979
PartagerFacebook
Écrit par
Frédéric Paquet

Frédéric Paquet

Architecte de profession et résident du quartier Saint-Sauveur, en basse-ville de Québec, je suis passionné d’aménagement du territoire et grande intéressé par la densification et la transition écologique, ainsi que leurs enjeux sur les villes québécoises.

Instagram

Cannot call API for app 591315618393932 on behalf of user 10229145644682285