Cette semaine, je vous présente le deuxième article de ma série sur le 3e lien. J’y poursuis l’historique des liens interrives, mais cette fois-ci à partir des années 2000.
Le Plan de mobilité durable de la Ville de Québec
Pour bien comprendre comment l’idée d’un 3e lien est revenue dans l’actualité populaire vers 2014, il faut remonter un peu dans le temps, soit en 2009, avec le début d’une longue démarche effectuée par la Ville de Québec sur la mobilité dans la région.
En 2009, Régis Labeaume, maire de Québec depuis fin 2007, entame une réflexion sur la mobilité dans la Ville de Québec en créant un groupe de travail sur la mobilité durable. Celui-ci sera responsable d’étudier, d’analyser et de consulter la population sur les besoins futurs des citoyens en termes de mobilité. Ce groupe, constitué d’experts en transport, d’urbanistes, d’architectes, de promoteurs immobiliers et d’élus prendra presque 3 ans à livrer le résultat de sa réflexion.
La première ébauche du « Plan de mobilité durable », publiée en juin 2010, précise les grandes lignes de ce plan basé sur les principes mêmes de la mobilité durable. « L’objectif principal de la stratégie du plan est de remplacer une trajectoire de développement caractérisé par la croissance de la place de l’automobile et de l’étalement urbain par une trajectoire plus durable, axée notamment sur le transport en commun et actif ». Cette version préliminaire présentera la toute première version d’un réseau de tramway composé de deux lignes, principalement Est-Ouest et Nord-Sud. Dans cet article, je ne m’éterniserai pas sur l’historique des tracés du tramway de Québec et des propositions de Service rapide par bus (SRB), bien que ce serait pertinent de le faire. Peut-être une prochaine fois!
Par contre, c’est quand même ce Plan de mobilité durable qui entamera le grand débat de la mobilité dans la région de Québec que nous connaissons aujourd’hui.
Le tunnel Québec-Lévis
En mars 2014, la Chambre de commerce de Lévis relance sur la scène publique l’idée d’un 3e lien entre les deux rives. Celle-ci propose un tracé qui reprend le quatrième scénario du deuxième rapport Vandry-Jobin, soit l’« Axe Orléans » qui se présente comme le prolongement de l’autoroute Felix-Leclerc, en passant par l’extrémité ouest de l’Île d’Orléans, rejoignant Lévis et l’autoroute 20. Selon le Chambre de commerce de Lévis, le but serait de compléter la boucle autoroutière de la région, à l’instar des grandes villes du monde. Elle évalue que le projet coûterait 750 M$ et serait entièrement sous la forme d’un tunnel.
Sans études concrètes ni avis d’experts dans ce dossier, le projet proposé comporte 3 voies dans chaque sens, dont une partagée pour le transport en commun, ainsi qu’une voie ferroviaire (sens unique). Je vous laisse ici le lien du vidéo promotionnel, l’un des seuls documents déposés. (https://www.youtube.com/watch?v=AyNJ8boZBZQ&t=60s&ab_channel=GraphSynergie)
Étant promu par la Chambre de commerce de Lévis , il est facile de constater que leur intérêt n’est pas vraiment l’amélioration de la mobilité de la région, mais plutôt de favoriser un développement économique de la région, principalement par le dézonage de terres agricoles qui se situeraient à proximité du nouveau lien dans les secteurs de Lauzon, de la Côte-de-Beaupré et de Bellechasse. Ce type de développement, communément appelé l’étalement urbain, est exactement à l’opposé des tendances mondiales en termes de développement du territoire et aussi en contradiction avec le Plan de mobilité durable de la Ville de Québec.
Les études du gouvernement libéral
Entrant dans le débat populaire et politique de la mobilité dans la région de Québec, le gouvernement de Philippe Couillard annonce en juillet 2015 le début d’une analyse de faisabilité technique chapeautée par Bruno Massicot, professeur de la Polytechnique de Montréal, et son équipe de recherche. Les objectifs visent à quantifier les possibilités techniques et budgétaires du tunnel proposé par la Chambre de commerce de Lévis. En septembre 2016, l’étude démontre préliminairement qu’il serait possible de construire ce nouveau lien pour 4 G$ dans un horizon de 10-15 ans et qu’il en coûterait 2,3 G$ en entretien pour les 100 prochaines années.
En 2017, le gouvernement de Philippe Couillard met en place un bureau d’étude sur le tunnel Québec-Lévis qui, selon le ministère des Transports, aura comme principale fonction d’aider le débat concernant la localisation du tunnel. Il faut comprendre qu’à ce moment, la Ville de Lévis le désire à l’Est, tel que présenté par la Chambre de commerce de Lévis, mais que la Ville de Québec le désire à l’Ouest, puisqu’il est démontré que la majorité de la congestion est principalement dans ce secteur et qu’un lien dans les terres agricoles à l’Est de Lévis n’aiderait pas à atténuer la congestion existante du secteur des ponts. C’est d’ailleurs ce que l’étude « Origine-Destination » précise en 2017. Je décortiquerai avec vous cette étude extrêmement importante dans ma 3e publication de cette série, mais en résumé, la majorité des déplacements interrives se concentre à l’ouest de Québec et de Lévis.
L’étude sur la localisation du 3e lien commencera en 2018 et les résultats seront publiés quelques mois avant les élections provinciales. Cinq corridors sont évalués par le bureau d’étude, soit :
- À l’ouest, dans le prolongement de la route Lagueux, secteur Saint-Nicolas, vers l’autoroute 40 à Saint-Augustin-de-Desmaures
- Au centre, dans le prolongement de l’avenue Taniata, secteur Saint-Romuald, en se connectant directement à l’autoroute Robert-Bourrassa dans le secteur de Place Sainte-Foy et de l’Université Laval.
- Encore au centre, dans le prolongement du Chemin des Îles, secteur de la raffinerie Valero, et se connectant à l’autoroute Laurentienne dans le secteur du Centre Vidéotron
- À l’est, à la hauteur de la sortie Monseigneur-Bourget jusqu’à une connexion à l’autoroute Félix-Leclerc (comme le 2e scénario du deuxième rapport Vandry-Jobin, soit de l’« Axe Anglo »)
- À l’est, tel que présenté par la Chambre de commerce de Lévis et le 4e scénario du deuxième rapport Vandry-Jobin, soit de l’« Axe Orléans »
De ces cinq corridors étudiés, le gouvernement libéral prévoyait retenir les trois plus prometteurs pour finalement en choisir seulement un définitif, avec un début des travaux en 2026.
L’arrivée de la CAQ dans le dossier
L’élection provinciale de 2018, qui a fait couler beaucoup d’encre sur le 3e lien et qui a beaucoup polarisé le débat sur la mobilité dans la région, a bien servi au gouvernement caquiste qui a pris la majorité à l’Assemblée nationale. Dès son arrivée en poste à titre de ministre des Transports, François Bonnardel modifie le mandat du bureau de projet du 3e lien pour qu’il analyse uniquement le corridor à l’est, celui passant par l’Île d’Orléans, et joint le projet du nouveau pont de l’Île d’Orléans dans le mandat du bureau de projet.
Le premier projet de lien interrives présenté par la CAQ en juin 2019 est constitué d’un tunnel passant sous l’Île d’Orléans, sans toutefois y permettre l’accès. Plusieurs citoyens de l’Île d’Orléans s’étaient opposés à l’arrivée de milliers de véhicules sur ce territoire à caractère rural et patrimonial. Le gouvernement caquiste prévoyait un début des travaux en 2020, soit 6 ans avant l’échéancier prévu par le gouvernement libéral, et ce, sans aucune précision sur le coût de l’ouvrage ni aucune étude.
Sans préavis, en janvier 2020, un nouveau tracé plus central, est présenté à la population. Ce tracé prend encore forme dans le secteur de la sortie Monseigneur-Bourget à Lévis, mais débouche dans le secteur du Stade municipal aux abords du Parc Victoria dans le quartier Saint-Roch. Celui-ci fait maintenant place aux transports en commun avec des voies réservées pour des autobus électriques et est constitué de 3 voies dans chaque sens (deux pour les véhicules et une pour le transport en commun). Ce nouveau tracé prévoit également une connexion avec le tramway de Québec pour la station souterraine d’Youville ainsi que des connexions au pôle Saint-Roch, aux Jardins Jean-Paul-L’Allier, dans le Petit-Champlain, au Quai Paquet et sur le campus Desjardins. Finalement, des sorties sont prévues pour les automobilistes afin de rejoindre l’autoroute Dufferin-Montmorency et le boulevard Charest à l’endroit actuel des bretelles Saint-Roch.
Pour cette nouvelle mouture du projet, aucun rapport n’a été présenté, aucune mise à jour sur l’échéancier et le budget n’a été effectuée au moment de la présentation. Le maire de Québec, Régis Labeaume, avait présenté ses réticences quant à l’implantation de la sortie du tunnel près du Parc Victoria, ainsi que l’ajout de bretelles pour la connexion à l’autoroute Dufferin-Montmorency, stipulant que Saint-Roch avait déjà été hypothéquée dans les années 70 par la destruction du Quartier Chinois et de plusieurs bâtiments le long de Saint-Vallier.
Malgré les réticences présentées par la Ville de Québec, cette nouvelle mouture est mieux accueillie que la première par son ajout considérable de transport en commun et de connexions aux réseaux existants. L’idée d’un véritable réseau interrives et régional est bien reçu. Cependant, il en reste que l’essentiel du projet est surtout basé sur l’augmentation de la capacité véhiculaire principalement dans le secteur du centre-ville qui est déjà saturé.
Puisque l’électorat de la CAQ est principalement en faveur du 3e lien et contre le tramway, le gouvernement caquiste décide de lier figurativement les deux projets pour consolider leurs appuis politiques. De cette décision naîtra une grande période d’incertitude quant à la réalisation du tramway, car la CAQ accusera le maire Labeaume de faire retarder les projets par son manque d’ouverture sur les tracés proposés. Pourtant, c’était le gouvernement caquiste qui avait obligé la Ville de Québec à arrimer son projet de tramway à celui du nouveau tracé du 3e lien, même en l’absence de documentation sur le 3e lien.
Le Réseau Express de la Capitale
En mai 2021, la CAQ annonce le projet du Réseau Express de la Capitale (REC) qui comporte quatre grandes composantes :
- Le 3e lien, de centre-ville à centre-ville
- Le tramway de Québec
- De nouvelles voies réservées pour le transport en commun sur les autoroutes de la couronne nord
- De nouvelles voies réservées pour le transport en commun à Lévis
Pour cette troisième mouture, le gouvernement prévoit un tunnel monotube d’une longueur de 8,3 km et d’un diamètre de 19,4m nécessitant un tunnelier inexistant, qui une fois construit, serait le plus gros tunnelier au monde au coût de 1 G$. D’ailleurs, la mise à jour du projet prévoyait un budget évalué entre 6 et 7 G$, mais pouvant se rendre jusqu’à 10 G$, n’étant pas encore en mesure de tout évaluer.
Tentant, selon moi, d’écoblanchir le 3e lien en l’arrimant au tramway, le gouvernement caquiste tente de rendre « vert » son projet autoroutier en le liant à des composantes de mobilité durable, tel le tramway ou les voies réservés sur les autoroutes. Cette nouvelle mouture comporte énormément d’incertitudes en termes de faisabilité technique et d’études économiques, écologiques et sociales.
En avril 2022, le gouvernement présente une énième mise à jour de son projet de 3e lien. Celle-ci offre une version réduite du projet afin d’attaquer l’incertitude reliée aux coûts de construction du projet. De cette mise à jour, on voit disparaitre toute la composante de transport en commun et de connexions au tramway de Québec. L’ouvrage est maintenant composé de deux tubes d’un diamètre entre 12 mètres et 15 mètres comportant deux voies seulement, dont une voie partagée pour le transport en commun le matin et le soir seulement. Les coûts actualisés présentent un projet à 6,5 G$ dans lequel la mise en service est prévue en 2032, soit 6 ans plus tard que ce qui était prévu à l’origine. Une prochaine mise à jour est prévue en 2025 et les études d’opportunités seront présentées au début de l’année 2023.
Ceci termine la deuxième publication sur l’historique des liens interrives dans la région de Québec. La prochaine publication aura comme sujet : l’achalandage et impact projeté du 3e lien.